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Les femmes et les enfants, premiers touchés par la résistance croissante aux antimicrobiens : Appel à l’action

En 2019, un enfant sur cinq décès liés à la résistance aux antimicrobiens était une victime, et les femmes sont également confrontées à une vulnérabilité accrue face aux microbes.

En 2019, un enfant sur cinq décès liés à la résistance aux antimicrobiens était une victime, et les femmes sont également confrontées à une vulnérabilité accrue face aux microbes.

Cet article a été rédigé par Kelsey Barrett et Cherise Scott, membres du personnel d’Unitaid, et publié à l’origine par Think Global Health, une publication du Council on Foreign Relations. Vous pouvez lire l’article original ici : With Antimicrobial Resistance, Women and Children Face Highest Risks | Think Global Health


La résistance aux antimicrobiens fait peser une menace majeure sur la santé mondiale, et elle continue de s’intensifier. En 2019, la résistance des bactéries aux antibactériens a été associée à 4,95 millions de décès, le plus fort taux de mortalité concernant l’Afrique subsaharienne. Les nourrissons, les enfants et les femmes avant, pendant et après la grossesse et l’accouchement subissent des infections pharmacorésistantes disproportionnées.

La déclaration politique sur la résistance aux agents antimicrobiens, récemment adoptée lors de la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la résistance aux antimicrobiens, le reconnaît et souligne « qu’il faut réduire considérablement, à l’échelle mondiale, les niveaux de mortalité et de morbidité maternelles, périnatales, néonatales, infantiles et juvéniles. » Pour y parvenir, il est crucial d’accélérer l’accès à des antimicrobiens efficaces et leur utilisation appropriée.

La lutte contre la résistance aux antimicrobiens se décline en trois axes principaux : développer et mettre en œuvre de meilleurs outils de diagnostic permettant d’identifier correctement les infections pour déterminer le régime thérapeutique qui convient, notamment en cas de pharmacorésistance ; veiller à une utilisation responsable des antibiotiques, nouveaux et existants, pour freiner leur surutilisation qui alimente la résistance aux antimicrobiens ; et développer et utiliser les bons médicaments contre les formes résistantes des maladies. Parmi ces trois approches, Unitaid est à l’avant-garde pour accélérer l’accès aux nouveaux outils de diagnostic et aux nouveaux traitements contre les pathogènes pharmacorésistants, en particulier aux formulations destinées aux enfants.

Risques accrus pour les femmes et les enfants face à la résistance aux antimicrobiens

Sur cinq décès liés à la résistance aux antimicrobiens en 2019, un enfant en était la victime.[1] Les maladies touchent davantage les enfants et les nouveau-nés, surtout ceux des environnements aux ressources limitées, en raison de leur système immunitaire encore immature. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la résistance aux traitements, y compris aux médicaments antirétroviraux, antipaludiques et antituberculeux, menace la diminution de la mortalité infantile.

Les femmes sont aussi confrontées à une vulnérabilité accrue aux microbes, résistants ou non, à cause de facteurs à la fois biologiques et liés au genre. L’accouchement expose les femmes à un risque d’infection. L’OMS estime que les infections liées à la grossesse sont responsables de 10,7 % des décès maternels[2], et que les infections sont à l’origine de plus de 50 % des décès maternels en hôpital.[3] Les infections non dépistées ou mal traitées peuvent conduire à une septicémie maternelle, cause majeure de mortalité des mères.[4] La gonorrhée est une infection sexuellement transmissible de plus en plus pharmacorésistante. Chez les femmes enceintes, la gonorrhée non traitée peut entraîner des naissances prématurées et augmente le risque de contracter et transmettre le VIH. En outre, les normes liées au genre de certaines cultures peuvent limiter l’accès aux soins de santé et retarder le diagnostic et le traitement des femmes.

L’accès aux outils essentiels de lutte contre la résistance aux antimicrobiens chez les femmes et les enfants ne peut être secondaire

Depuis près de 20 ans, Unitaid et ses partenaires œuvrent pour combattre les inégalités dans l’accès aux outils de santé vitaux permettant de lutter contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Ces approches adaptées d’orientation du marché recèlent un potentiel immense d’amélioration de la santé des femmes et des enfants et de lutte contre la résistance aux antimicrobiens.

Les besoins des enfants et des femmes enceintes doivent être prioritaires dans les développements de médicaments

Pour assurer l’utilisation et l’accès adaptés à des antimicrobiens efficaces chez la femme enceinte, le nourrisson et l’enfant, il faut commencer par donner la priorité à ces populations pendant le développement des médicaments antibiotiques, alors qu’elles sont systématiquement exclues actuellement. Pour commencer, sur 14 produits en développement clinique, moins de la moitié ont des protocoles d’étude pédiatriques et la majorité d’entre eux exclut les enfants de moins de cinq ans. En outre, la filière des antibactériens oraux, plus faciles à administrer aux enfants, a fondu entre 2017 et 2023.

Les femmes enceintes sont régulièrement écartées des essais cliniques en raison du risque de préjudice pour elles ou leur fœtus. Même les antibiotiques existants bénéficient de données probantes inadaptées concernant leur sécurité d’utilisation pendant la grossesse, ce qui limite leur disponibilité dans les traitements.

De nouveaux modèles incitatifs sont requis pour surmonter les défis du marché

Les multiples défis liés au marché limitent la disponibilité et l’offre d’antimicrobiens et font empirer la situation pour les femmes et les enfants.  Certains marchés sont plus fragiles que d’autres. Le nombre de fournisseurs est insuffisant, ou bien les nouveaux médicaments sont chers ou pâtissent d’une faible demande locale, avec des budgets nationaux limités et des stratégies de déploiement peu claires.

De plus, étant donné la grande disponibilité des composés génériques bon marché, la rentabilité limitée du marché des antibiotiques n’incite pas les fabricants à investir. Les coûts élevés engendrés par la conformité aux obligations réglementaires pour les antibiotiques découragent aussi les investisseurs.

Il faut élaborer de nouvelles approches pour inciter les innovateurs, les développeurs et les fabricants à investir dans les produits de lutte contre la crise de la résistance aux antimicrobiens. Des initiatives destinées à créer de nouveaux modèles incitatifs voient le jour pour rassembler les différentes parties prenantes. SECURE en est un exemple : cet effort de collaboration orchestré par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le partenariat Global Antibiotic Research and Development Partnership (GARDP) a été mis sur pied pour étendre l’accès aux antibiotiques essentiels dans le traitement des infections bactériennes pharmacorésistantes[5].

La lutte contre la résistance aux antimicrobiens peut s’appuyer sur les efforts d’orientation du marché pour le VIH, la tuberculose et le paludisme

Les marchés des antibiotiques partagent d’importantes caractéristiques avec les marchés des outils dédiés à la tuberculose et au paludisme. Unitaid et ses partenaires ont prouvé que les interventions ciblées sur l’offre et la demande pouvaient catalyser l’accès aux produits nouveaux et existants. Les stratégies ne doivent pas se contenter de soutenir l’introduction et l’offre de produits, elles doivent aussi accompagner les pays et les communautés touchées pour renforcer la sensibilisation et la demande, essentielles pour la stabilité des marchés.

Les marchés de lutte contre la résistance aux antimicrobiens ne peuvent pas atteindre la stabilité seuls.  Ils doivent reposer sur des fondations solides favorisant la coordination et la concordance à tous les niveaux et pour tous les secteurs. C’est justement le principe de certains projets d’Unitaid parmi les plus fructueux, comme la fourniture de meilleurs médicaments pour prévenir la tuberculose et le paludisme chez l’enfant.

Les goulets d’étranglement de l’offre, comme les retards d’achats, le manque de précision des prévisions de la demande, la mauvaise qualité des produits ou encore l’utilisation incorrecte des antimicrobiens par les prestataires, peuvent saper la capacité des systèmes de santé à freiner la résistance aux antimicrobiens. Les antibiotiques sauvent la vie de femmes et d’enfants. Il est vital de surmonter ces obstacles, surtout dans les pays à revenu faible ou intermédiaire où les antibiotiques de qualité sont souvent indisponibles.

Beaucoup de médicaments essentiels, comme l’amoxicilline, l’ampicilline et la gentamicine, sont classés par l’OMS comme antibiotiques auxquels l’accès est indispensable en raison de leur large spectre d’efficacité et leur faible potentiel de résistance. Deux démarches doivent être prioritaires : étendre l’accès à ces médicaments par le biais d’achats groupés qui permettent à des pays et des partenaires de se coordonner pour acheter en vrac à prix réduit, et multiplier les investissements en faveur de la fabrication régionale.

Le diagnostic est primordial pour combattre la résistance aux antimicrobiens

Pour les nouveaux antibiotiques comme pour ceux qui existent déjà, de meilleurs outils de diagnostic ont un fort potentiel pour améliorer l’administration du traitement approprié. Par exemple, pour combattre l’augmentation de la gonorrhée pharmacorésistante et la prescription abusive d’antibiotiques, de nouveaux tests sur les lieux des soins doivent être introduits pour soutenir l’abandon progressif de la prise en charge syndromique qui constitue une méthode moins précise de traitement en fonction des symptômes seuls.

Ainsi, il est dorénavant possible d’intégrer le dépistage de la gonorrhée chez les femmes dans les programmes de soins prénatals ou lors de la prestation de services liés au VIH. La filière dédiée aux outils de diagnostic de la gonorrhée est solide, et beaucoup d’outils sont dans leur dernière phase de développement. Toutefois, la plupart des fabricants ciblent les marchés des pays à revenu élevé.

Unitaid a récemment publié un rapport d’évaluation de la situation du marché et des technologies de diagnostic de la gonorrhée sur le lieu des soins (Gonorrhea point-of-care diagnostics technology and market landscape report) qui souligne les lacunes et les opportunités auxquelles l’introduction du produit est confrontée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. En outre, ces outils de diagnostic peuvent être utilisés parallèlement au nouvel antibiotique oral, la zoliflodacine, qui a montré des résultats positifs dans un essai de phase 3 de traitement de la gonorrhée non compliquée[6].

La progression des outils de diagnostic en vue de soutenir les objectifs de lutte contre la résistance aux antimicrobiens nécessitera des interventions sur le marché pour rendre les investissements moins risqués, pour inciter l’industrie à s’engager sur les marchés des pays à revenu faible ou intermédiaire et pour assurer l’accessibilité financière à ces marchés. À titre d’exemple, le coût du traitement actuel de la gonorrhée est bas (1,66 dollar US), par rapport au coût des tests de dépistage de la gonorrhée approchant la mise sur le marché. Les stratégies telles que l’orientation avancée des marchés, les modèles de double tarification, ou les volumes garantis doivent toutes être explorées pour faire disparaître ces difficultés.

Vers l’avenir

Les priorités des pays et les plans d’action nationaux contre la résistance aux antimicrobiens doivent stimuler et guider les efforts des partenaires dans cette lutte pour qu’elle ait un impact sur la santé des femmes et des enfants. Bien que les structures et les interventions d’orientation du marché soient connues, leur succès nécessitera des partenaires avec lesquels travailler de façon innovante. Le travail de l’OMS pour guider les pays dans leur élaboration et leur mise en œuvre de programmes de gestion des antimicrobiens est critique.

Les fabricants et les partenaires de développement de produits consultent les ressources comme la liste des pathogènes bactériens prioritaires de l’OMS pour orienter leur recherche et leur développement. Les lignes directrices de la classification des antibiotiques AWaRe de l’OMS sont également vitales pour guider les stratégies des pays dans la prévention et la maîtrise de la résistance aux antimicrobiens. Les partenaires techniques comme le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) ont un important rôle à jouer pour aider les pays à mettre en œuvre les solutions d’atténuation de la résistance aux antimicrobiens, et ainsi réduire les infections et favoriser l’accès aux antimicrobiens et leur utilisation optimale dans la santé des femmes et des enfants. En outre, les réseaux de plaidoyer renforcés aideront à promouvoir la sensibilisation et à mieux comprendre la résistance aux antimicrobiens et le fardeau sanitaire qu’elle représente.

Il est aussi possible de s’appuyer sur les mécanismes mondiaux de financement et d’achat pour rendre l’accès aux antimicrobiens plus équitable. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme soutient désormais l’achat de certains produits non liés au paludisme, comme l’amoxicilline, dans la prise en charge intégrée des maladies infantiles.

Les canaux d’approvisionnement, comme le catalogue d’offres de l’UNICEF, pourraient être mieux exploités, de même que le fonds Supply Match Fund de l’UNFPA, un nouveau mécanisme de financement qui fait correspondre les contributions des autorités publiques avec les produits de qualité garantie, et qui pourrait être élargi pour inclure les antibiotiques prioritaires. D’autres plateformes comme le Service pharmaceutique mondial du Partenariat Halte à la tuberculose ont également été proposées pour faciliter les achats groupés.

Les partenaires des Nations Unies qui soutiennent la santé maternelle, néonatale et infantile, notamment l’OMS, l’UNFPA et l’UNICEF, peuvent continuer à améliorer la coordination au bénéfice de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Les pays doivent mener les efforts spécifiquement destinés à surmonter les obstacles qui limitent l’accès aux outils de diagnostic et aux agents thérapeutiques dont la qualité est garantie. Les agences mondiales peuvent développer des outils et des mécanismes qui facilitent le fonctionnement des processus nationaux et infranationaux d’achat, en évitant les lacunes d’approvisionnement qui altèrent la disponibilité de soins de qualité. Parallèlement, le plaidoyer technique et politique des prestataires et des consommateurs pour demander l’accès aux interventions et aux médicaments recommandés doit s’intensifier.

Comme pour beaucoup de services critiques, un cycle vertueux d’offre et de demande peut être atteint de sorte à garantir la disponibilité et soutenir l’achèvement d’objectifs nationaux et mondiaux de développement durable. Cette année, pendant la semaine de sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens, nous appelons à des actions audacieuses mettant les besoins des femmes et des enfants au centre de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens.


[1] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8841637/

[2] https://ann-clinmicrob.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12941-024-00681-8

[3] www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214109X20301091?via%3Dihub

[4] https://iris.who.int/bitstream/handle/10665/254608/WHO-RHR-17.02-eng.pdf?sequence=1

[5] https://www.secureantibiotics.org/about

[6] https://gardp.org/positive-results-announced-in-largest-pivotal-phase-3-trial-of-a-first-in-class-oral-antibiotic-to-treat-uncomplicated-gonorrhoea/

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