Photo : une infirmière donne un médicament contre le paludisme à une femme enceinte au centre de santé de la barrière de Kenge, en République démocratique du Congo (crédit photo : Karel Prinsloo / Jhpiego).
Un médicament antipaludique à visée préventive est actuellement apporté à des milliers de femmes enceintes à travers le continent africain, sur les vélos et dans les sacs à dos de tout un réseau d’agents de santé communautaires, qui démontrent ainsi comment protéger les millions d’autres femmes exposées au risque d’infection palustre.
Grâce à ce réseau d’agents de santé communautaires, le projet TIPTOP, financé par Unitaid et dirigé par Jhpiego, fournit un traitement sûr, efficace et abordable pour la prévention du paludisme au cours de la grossesse parmi les femmes vivant dans certains districts tests en République démocratique du Congo, à Madagascar, au Mozambique et au Nigéria.
L’infection palustre contractée durant la grossesse peut entraîner de graves complications, y compris une anémie grave chez la mère ou un déficit pondéral chez le nouveau-né, voire une mortinaissance ou un décès.
En 2012, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a recommandé l’administration d’au moins trois doses de sulfadoxine-pyriméthamine (SP), un médicament antipaludique, au cours de la grossesse afin de réduire considérablement le risque d’infection palustre, ce traitement devant s’ajouter à l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide et au suivi efficace des cas de paludisme et d’anémie chez les femmes enceintes. Or, les données révèlent que malgré cette recommandation, des millions de femmes demeurent négligées.
Dans les régions d’Afrique qui enregistrent une transmission du paludisme modérée à élevée, où cette intervention (appelée « traitement préventif intermittent pendant la grossesse », TPIg) est dès lors cruciale, seulement 34 % des femmes enceintes pouvant bénéficier de ce traitement avaient reçu au moins trois doses préventives de SP en 2019. Ce chiffre témoigne certes d’une amélioration considérable (en 2010, le pourcentage de femmes enceintes pouvant recevoir et ayant reçu un TPIg n’était encore que de 2 %), mais il demeure bien trop faible.
On estime qu’en 2019, 12 millions de femmes ont été infectées par le paludisme durant leur grossesse, ce qui représente 35 % de l’ensemble des grossesses.
Les méthodes précédemment utilisées, fondées sur l’administration de SP dans les centres de soins prénatals au cours des visites de routine, avaient une portée clairement insuffisante. L’objectif du projet TIPTOP était de déterminer si le fait d’apporter la prévention du paludisme aux femmes directement chez elles, par l’intermédiaire de membres de la communauté formés à cet égard, pourrait combler les lacunes en matière de soins et offrir un accès à des services de santé supplémentaires à des millions de femmes.
Les centres de soins prénatals fournissent divers services essentiels, qui garantissent la santé et le bien-être des mères et de leurs nouveau-nés. Il peut s’agir de la prévention de la transmission mère-enfant du VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles, du dépistage et du traitement de la tuberculose, de soins nutritionnels, d’une assistance lors de l’accouchement fournie par un personnel formé, et de bien d’autres services encore.
Chacun des agents de santé du projet TIPTOP est responsable d’une zone spécifique, dans laquelle ils passent de maison en maison pour recenser les femmes enceintes. Ajayi, l’un de ces agents de santé communautaires, a déjà aidé des dizaines de femmes dans la zone dont il est chargé, à savoir la zone d’Akure Sud, au Nigéria. Il discute avec chacune des femmes enceintes qu’il rencontre et lui donne des informations sur les avantages du TPIg et des services de soins prénatals fournis par les centres médicaux locaux.
Après avoir orienté ces femmes vers l’établissement de santé le plus proche, il reste en contact avec elles tout au long de leur grossesse afin de leur rappeler les principales visites de contrôle et de veiller à ce qu’elles reçoivent la totalité du traitement antipaludique préventif.
Ajayi explique : « Certaines femmes viennent me voir pour m’annoncer qu’elles sont enceintes et me demander de les suivre durant leur grossesse. Il y a même des infirmières parmi elles, mais elles ont vu la manière dont je soutiens d’autres femmes en veillant à ce qu’elles prennent leurs médicaments et fassent tout pour vivre sainement pendant leur grossesse, et elles veulent que je fasse la même chose pour elles ».
D’après les données issues des études menées jusqu’à présent, l’administration du TPIg au sein de la communauté accroît sensiblement la portée de cette intervention salvatrice. Cependant, l’incidence du projet peut s’étendre bien au-delà de la prévention fondamentale du paludisme : les données collectées dans le cadre du programme indiquent non seulement que l’apport du TPIg par l’intermédiaire de la communauté n’a pas d’effet négatif sur l’accès à des services de santé supplémentaires, mais aussi, d’après la surveillance de routine réalisée, que le nombre de visites de soins prénatals pourrait même être en hausse.
Diolista était enceinte pour la quatrième fois lorsqu’elle a rencontré un agent de santé communautaire du projet TIPTOP au sein de sa communauté (la communauté Maririmo, au Mozambique).
Ayant souffert d’hémorragies après avoir donné naissance à ses trois premiers enfants chez elle, Diolista a eu le bonheur d’accoucher d’un petit garçon en pleine santé dans un établissement médical, pour la première fois de sa vie. Au cours de sa grossesse, elle a reçu un ensemble complet de soins prénatals ainsi que trois doses de médicament antipaludique préventif, ce qui a favorisé cette heureuse conclusion.
Diolista raconte : « L’agent TIPTOP est venu chez moi en décembre, il s’est présenté et m’a demandé si j’étais en bonne santé. Lorsque je lui ai dit que j’étais seulement enceinte, il m’a demandé si j’avais fait mes premières consultations prénatales et je lui ai expliqué que non, car j’en étais aux premiers stades de ma grossesse. Il m’a alors conseillé de me rendre dans l’établissement de santé le plus proche pour une visite prénatale, en m’expliquant pourquoi il vaut mieux commencer ces visites au début de la grossesse. Il m’a donné un formulaire à présenter au centre Nacavala, où j’ai suivi mes premières consultations prénatales et reçu ma première dose de SP ».
Le projet TIPTOP a permis de protéger près de 100 000 femmes enceintes contre le paludisme en leur administrant au moins trois doses de SP par l’intermédiaire de leurs communautés. En 2021, il a déjà permis de prendre en charge plus de 80 % des femmes enceintes dans les districts couverts par le projet, démontrant la possibilité pour les pays d’utiliser ce modèle pour se rapprocher de l’objectif fixé par l’OMS, à savoir administrer un TPIg à 80 % des femmes concernées.
Le succès du projet TIPTOP est en partie dû à sa flexibilité face aux défis à relever. Après avoir analysé les données collectées par les agents de santé, les équipes travaillant au sein du territoire de Kenge, en République démocratique du Congo, ont confirmé que même si de nombreuses femmes recevaient un traitement à la SP au moyen d’interventions communautaires, le nombre de femmes se rendant à des visites de soins prénatals demeurait faible.
Ayant pris conscience du fait que les cliniques étaient trop éloignées pour permettre à de nombreuses femmes d’y accéder facilement, ces équipes se sont rapidement adaptées afin de faire venir des sages-femmes au sein des communautés, de mettre en place des points de service pour la prestation de soins prénatals et de travailler avec les agents communautaires pour mettre en relation les femmes et les services concernés.
« Nous pensions que les prestataires de soins de santé nous avaient abandonnées, mais nous sommes très heureuses de les voir parmi nous aujourd’hui », commente une femme au point de service de Mikunzi, où elle est venue se faire soigner. « Si ces services avaient été mis en place il y a longtemps, nombre d’entre nous n’aurions pas dû accoucher à la maison et perdre nos vies ou celles de nos bébés ».
Cette approche flexible et dirigée par la communauté a également prouvé son efficacité d’une manière inattendue : lorsque la pandémie de COVID-19 a entravé l’accès aux cliniques locales et aux soins de santé dans le monde entier, les équipes du projet TIPTOP ont rapidement réagi pour assurer la continuité des services de santé essentiels.
Grâce à des formations en ligne et à des plateformes de messagerie, elles ont pu transmettre aux agents de santé communautaires et aux organisations de la société civile des messages et des informations visant à entretenir la demande de TPIg, tout en aidant les femmes à se sentir protégées contre la menace de la COVID-19 au cours de leur grossesse.
Elaine Roman, directrice du projet TIPTOP, a déclaré : « Nous approchons maintenant du terme du projet TIPTOP, et les données révèlent que notre objectif, à savoir administrer trois doses de TPIg à 50 % de femmes enceintes pouvant bénéficier de ce traitement, est déjà atteint, voire dépassé, dans presque tous les districts cibles. Nous sommes ravis de constater que ces approches dirigées par les communautés ont une incidence concrète sur la vie de milliers de femmes enceintes. En plus d’atteindre ses objectifs, le projet TIPTOP a mis en valeur le rôle essentiel que jouent les agents de santé communautaires en faveur de la santé des femmes au sein de leur communauté. Ces résultats prometteurs offrent des possibilités qui s’étendent bien au-delà de la durée de vie du projet : ils font entrevoir un chemin durable et fiable vers l’amélioration de la santé des femmes et la réponse à divers défis ».
Le Dr Philippe Duneton, directeur exécutif d’Unitaid, a expliqué : « Nous savons depuis des années que le TPIg est efficace pour la prévention du paludisme au cours de la grossesse, mais nous n’avons jusqu’ici pas réussi à prendre en charge suffisamment de femmes exposées à ce risque. C’est pourquoi ces interventions menées par les communautés ont un tel potentiel pour ce qui est de combler les lacunes dans les services de santé et d’apporter aux femmes une protection essentielle contre le paludisme ».
Le projet TIPTOP permet d’engranger une expérience précieuse pour démontrer l’efficacité de la distribution du TPIg au sein des communautés. Ce projet sera soumis à un examen par l’OMS et, si l’issue en est positive, il servira d’exemple pour la prise en charge de millions de femmes vulnérables au paludisme sur tout le continent africain.
Le succès du projet TIPTOP en ce qui concerne la distribution du traitement ouvre la voie à un nouvel investissement majeur de la part d’Unitaid, consacré à une initiative dirigée par Population Services International (PSI) qui élargira la prévention du paludisme auprès des enfants de moins de deux ans. En effet, la SP est également efficace pour la prévention du paludisme et de l’anémie chez les nouveau-nés, mais son utilisation n’est pas encore généralisée en Afrique, bien que l’OMS la recommande depuis 2010.
« Nous sommes heureux de constater le succès du projet TIPTOP en ce qui concerne l’élaboration des méthodes de distribution du traitement les mieux adaptées aux besoins des populations que nous cherchons à prendre en charge. Unitaid a le plaisir d’annoncer le lancement d’une nouvelle initiative complémentaire, menée par PSI, qui s’inspirera de ce projet pour déterminer la manière d’apporter aux enfants de moins de deux ans, le plus efficacement possible, une protection salvatrice contre le paludisme, en collaborant avec les pays afin d’élaborer conjointement les solutions les plus efficaces », a déclaré le Dr Duneton.
Le projet Intermittent Preventive Treatment in Infants – Plus (IPTi+) consistera en l’élaboration de modèles pour le déploiement à grande échelle d’une innovation fondée sur le traitement IPTi recommandé par l’OMS. Le traitement IPTi+ sera caractérisé par une augmentation du nombre de doses de sulfadoxine-pyriméthamine administrées aux enfants à titre préventif ainsi que par un élargissement de la durée de ce traitement à la deuxième année de vie des enfants. Ce projet permettra de recueillir des données pour appuyer l’adoption généralisée de cette méthode préventive efficace, mais sous-utilisée qui, déployée à grande échelle, pourrait permettre d’éviter 6,7 millions de cas de paludisme et d’anémie parmi les enfants de moins de deux ans d’ici 2030.
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