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L’empreinte climatique des soins de santé : sauver des vies à moindre coût

Les liens intrinsèques entre les changements climatiques et les chaînes d’approvisionnement du secteur de la santé par Vincent Bretin, Directeur de l’équipe Résultats et Climat d’Unitaid – 4 janvier 2024 ThinkGlobalHealth Chaque année, le secteur mondial de la santé sauve la vie de millions de personnes atteintes de maladies infectieuses comme le VIH, la tuberculose et le […]

Les liens intrinsèques entre les changements climatiques et les chaînes d’approvisionnement du secteur de la santé

par Vincent Bretin, Directeur de l’équipe Résultats et Climat d’Unitaid – 4 janvier 2024
ThinkGlobalHealth

Chaque année, le secteur mondial de la santé sauve la vie de millions de personnes atteintes de maladies infectieuses comme le VIH, la tuberculose et le paludisme grâce à des médicaments, des diagnostics et des outils de prévention novateurs. Et chaque année, ces mêmes produits de santé vitaux constituent pourtant un risque sanitaire en émettant des millions de tonnes de dioxyde de carbone.

Bien que les effets des changements climatiques sur la santé des populations soient indéniables, de la pollution aux vagues de chaleur en passant par la propagation croissante des maladies infectieuses, l’incidence du secteur mondial de la santé sur ces phénomènes et les risques qu’ils comportent pour les chaînes d’approvisionnement sanitaires mondiales ont été moins bien étudiés.

Une attention croissante est toutefois portée à ces questions, comme en témoigne la vingt-huitième Conférence des Parties (COP28), qui était la première COP à consacrer une journée à la santé. En amont de la conférence et pour la première fois, une étude d’Unitaid portant sur dix grandes catégories de produits de santé a examiné ces effets et risques, précisant également ce que nos sociétés peuvent faire pour y remédier.

Des milligrammes aux mégatonnes

Il est paradoxal qu’un secteur qui s’efforce de maintenir la population en bonne santé contribue également au problème et soit à la traîne en matière d’action climatique, étant donné qu’il est responsable d’environ 4,6 % des émissions nettes de carbone dans le monde, soit plus que le secteur mondial du transport maritime. Parallèlement, les tests, les traitements et les outils utilisés quotidiennement par les professionnels de la santé sont menacés par des chocs climatiques, tels que la perturbation des sites de fabrication ou des chaînes d’approvisionnement en raison d’événements météorologiques extrêmes ou la modification des régimes pluviométriques qui touchent les usines de fabrication de certains médicaments. La hausse des températures et les vagues de chaleur peuvent également entraîner la dégradation des médicaments.

Le secteur des soins de santé est responsable de 4,6 % des émissions nettes de carbone dans le monde, soit plus que le secteur mondial du transport maritime

Les dix produits pris en considération dans l’étude, à savoir des médicaments contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ainsi que des moustiquaires de protection contre le paludisme, des outils de dépistage de la tuberculose et du matériel d’oxygénation, ont été choisis parce qu’il s’agit d’outils vitaux qui sont également représentatifs de la plupart des catégories de produits utilisés par le secteur de la santé mondiale. Les enseignements tirés de cette analyse peuvent dès lors être appliqués à d’autres catégories de produits de santé, accroissant ainsi la pertinence du rapport d’Unitaid.

L’étude a porté sur l’ensemble des risques et des effets sur le climat et la nature que présente chaque produit. Elle s’est penchée sur huit étapes de la chaîne de valeur, de l’acquisition des matériaux à la fin de vie et aux déchets, sur six types d’effets sur le climat et la nature, des émissions de carbone à la pollution de l’eau, et sur neuf types de risques pour le climat et la nature, tels que les inondations ou les vagues de chaleur extrêmes. Les experts de 23 organisations de premier ordre dans les domaines du climat et de la santé ont contribué à l’étude.

La première des trois principales conclusions montre que les quantités absolues de carbone émises dans l’atmosphère par les dix chaînes d’approvisionnement sont assez importantes, s’élevant à 3,5 mégatonnes chaque année et provenant principalement de la fabrication, du transport et de la mise en décharge.

Par exemple, une dose quotidienne du traitement à base de dolutégravir, la thérapie antirétrovirale la plus efficace au monde pour les personnes vivant avec le VIH, ne contient que 650 milligrammes du principe actif pharmaceutique. Cette quantité semble infime. Toutefois, si l’on tient compte des dizaines de millions de personnes à qui ce traitement est administré annuellement, elle s’élève à plus de 7 000 tonnes par an. En outre, ce produit se compose de trois principes actifs pharmaceutiques distincts qui nécessitent chacun quatre à cinq réactions chimiques d’affilée, de nombreux intrants et solvants et beaucoup d’énergie étant utilisés à chaque étape.

En raison de ce processus à forte intensité énergétique, 314 kilogrammes de dioxyde de carbone (CO2) sont émis pour produire chaque kilogramme de principe actif pharmaceutique. Globalement, en tenant compte de toutes les sources d’émissions, il apparaît que ces quelque 650 milligrammes quotidiens sont responsables de 2,7 mégatonnes d’émissions de CO2 par an. En d’autres termes, ce médicament indispensable génère à peu près autant d’émissions que la ville de Genève.

La deuxième constatation est que les dix catégories de produits ont de graves conséquences sur la nature, y compris le rejet de déchets chimiques toxiques au moment de la fabrication et les répercussions importantes des déchets au moment de l’utilisation et de la mise en décharge. Par exemple, la nouvelle gamme de moustiquaires, l’un des outils les plus efficaces et les plus abordables pour protéger les ménages contre le paludisme, devrait générer 57 000 tonnes de déchets plastiques par an d’ici à 2030. En l’absence de solutions de recyclage, la plupart de ces moustiquaires sont jetées dans des décharges non gérées ou incinérées, ce qui pollue l’air, le sol et l’eau.

Troisièmement, il ressort de l’étude que les chocs climatiques font peser de graves risques sur la chaîne d’approvisionnement, ce qui compromet l’accès aux produits. Ce volet pourtant crucial n’est presque jamais analysé. Par exemple, la chaîne d’approvisionnement du traitement combiné à base d’artémisinine, un médicament antipaludéen essentiel utilisé par des centaines de millions de personnes chaque année, est exposée à une multitude de risques liés au climat. La plante Artemisina annua, qui produit l’un des principaux ingrédients du médicament, est sensible aux conditions climatiques. La plupart des sites de production sont concentrés dans deux régions de l’Inde faisant face à des risques d’inondation et le produit final se dégrade sous l’effet de fortes chaleurs.

Façonner des solutions

Si ces conclusions peuvent se révéler surprenantes, les solutions permettant d’y remédier ne le sont pas. Le rapport présente vingt solutions techniques qui pourraient rendre ces produits plus résilients face aux changements climatiques tout en entraînant une baisse des émissions pouvant atteindre 70 %. Il est encourageant de constater que les émissions actuelles de CO2 pourraient être réduites de 40 % sans augmenter les coûts de production, de sorte que des changements importants peuvent être apportés dès maintenant tout en garantissant que les produits resteront abordables. En outre, la mise en œuvre complète de solutions sans effet sur les coûts dans ces dix chaînes d’approvisionnement permettrait de se rapprocher des objectifs de l’Accord de Paris, à savoir réduire les émissions de 43 % d’ici à 2030.

Les émissions actuelles de CO2 pourraient être réduites de 40 % sans augmenter les coûts de production

Bon nombre de ces solutions ont fait leurs preuves. D’autres sont plus novatrices, mais très prometteuses. Prenons l’exemple de la chimie verte, qui englobe un large éventail d’innovations susceptibles de rendre les processus chimiques plus durables. En appliquant ces principes à plusieurs médicaments essentiels dans le cadre du traitement de la tuberculose, les chercheurs sont parvenus à utiliser 55 à 66 % de matières premières en moins pour une hausse des rendements s’échelonnant de 18 à 43 %.

Ce type d’approche permet non seulement de réduire les émissions de CO2, mais aussi de diminuer les quantités de déchets dangereux et de réaliser des économies, ce qui en fait une solution avantageuse à tous les égards.

Veiller à ce que les produits de santé soient adaptés aux changements climatiques

Le rapport d’Unitaid examine deux aspects essentiels et mal compris des produits de santé et de leurs chaînes d’approvisionnement dans le contexte des changements climatiques, à savoir leur incidence sur l’environnement et leur résilience face aux risques climatiques. Toutefois, il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg.

Les changements climatiques pèsent considérablement sur les maladies, les populations et les communautés locales. Par exemple, le paludisme se propage aujourd’hui dans de nouvelles régions, dans de nouveaux contextes et par l’intermédiaire de nouveaux vecteurs. Les parties prenantes et les sociétés devront modifier parfois fondamentalement les types de produits de santé qu’elles utilisent et les modes de distribution de ces produits pour progresser sur la voie de l’amélioration de la santé et de l’équité.

Unitaid œuvre à la mise sur le marché de produits de santé novateurs dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Cette année, nous avons décidé de prendre des mesures proactives en plaçant l’action climatique au cœur de notre réflexion, l’objectif étant de sélectionner et de soutenir les innovations de demain dans le domaine de la santé. Notre nouvelle stratégie en matière de climat et de santé préconise le passage à des produits de santé intelligents face aux changements climatiques qui ne nuisent pas à l’environnement, sont résilients, tiennent compte de l’évolution du climat, peuvent être adaptés au contexte local et sont produits au niveau régional. Elle engage également Unitaid à réduire sa propre empreinte carbone, y compris celle de son portefeuille d’investissements, conformément à l’Accord de Paris.

Les solutions visant à lutter contre les changements climatiques et à aborder les enjeux sanitaires mondiaux ne sauraient être élaborées en vase clos. Il n’est pas non plus question d’envisager séparément l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci. Ces questions interdépendantes appellent des interventions communes. Les fabricants, les bailleurs de fonds, les pays, les populations et les organisations sanitaires comme Unitaid doivent élaborer, fabriquer et financer des produits de santé intelligents face aux changements climatiques, pour ensuite les acheter et promouvoir leur utilisation.

À défaut, nous ne ferons que perpétuer les effets néfastes sur l’environnement des chaînes d’approvisionnement en produits de santé. En outre, certaines interventions comptant parmi les solutions sanitaires les plus essentielles risquent de devenir inutiles ou inefficaces.

Publié dans Think Global Health, une publication en ligne du Council on Foreign Relations.   

by Vincent Bretin, Director of Unitaid’s Results and Climate 
As published in ThinkGlobalHealth, an online publication from the Council on Foreign Relations

 

Every year, the global health sector saves millions of lives from infectious diseases such as HIV, tuberculosis, and malaria with innovative medicines, diagnostics, and preventative tools. And every year, those same lifesaving health products emit millions of tons of carbon that put people’s lives at risk.

Although the effects of climate change on people’s health are undeniable, from pollution to heat waves to the rising spread of infectious disease, the impact the global health sector has on climate change and the climate-related risks to global health supply chains are less understood.

Attention to these issues is growing, however, which was quite apparent at the twenty-eighth Conference of the Parties (COP28)—the first COP to have a dedicated health day. Ahead of the conference and for the first time, a Unitaid study of ten leading health product categories examined those impacts and risks—and what societies can do about it.

 

From Milligrams to Megatons

It is ironic that a sector that strives to keep people well is also contributing to the problem and trailing in climate action, accounting for approximately 4.6 percent of global net carbon emissions—more than the global shipping industry. Concurrently, the tests, treatments, and tools health workers use every day are at risk from climate-related shocks such as disruptions to manufacturing sites or supply chains after extreme weather events, or changing rainfall patterns that affect the manufacturing plants for some medicines. Rising temperatures and heat waves can also cause medicines to degrade.

The health-care sector accounts for 4.6 percent of global net carbon emissions—more than the global shipping industry.

The ten products included in the study—medicines for HIV, tuberculosis (TB), and malaria as well as mosquito nets to protect against malaria, diagnostics for TB, and oxygen equipment—were chosen because they are vital tools that also represent most product classes used in global health. The lessons learned from these products can thus be applied to other health product classes, extending the benefits of the Unitaid report beyond the ten product categories.

For each product, the study assessed the full set of climate and nature risks and impact. The assessment covered eight steps in the value chain; material acquisition to end-of-life and waste; six types of climate and nature impacts from carbon emissions to water pollution; and nine types of climate and nature related risks, such as flooding or extreme heat. Leading experts from twenty-three global health and climate organizations contributed to the report.

The first of three main findings showed how the absolute quantities of carbon emitted in the atmosphere from these ten supply chains is quite large—3.5 megatons each year, mainly through manufacturing, transport, and disposal.

For example, one daily dose of the dolutegravir-based regimen, the world’s best-in-class antiretroviral therapy for people living with HIV, contains just 650 milligrams of the active pharmaceutical ingredient (API). This seems small. But after accounting for the tens of millions of people who take this treatment for years, the number grows to more than seven thousand metric tons of API per year. That massive weight itself consists of three distinct APIs, each requiring four to five sequential chemical reactions, with many inputs, solvents, and energy used at each step.

Because of this energy-intensive process, the production of every kilogram of an API emits 314 kilograms of carbon dioxide (CO2). Overall, when accounting for all sources of emissions, it appears that the 650 daily milligrams become 2.7 megatons of CO2 emissions annually.

Put simply, this absolutely critical medicine contributes roughly the same emissions as the city of Geneva.

The second finding was that those ten product categories have serious consequences on nature, including the release of toxic chemical waste at the point of manufacturing and significant influences linked to waste at the point of use and disposal. For example, the new class of mosquito nets—one of the most effective and affordable tools used to protect families from malaria—is forecast to generate fifty-seven thousand tons of plastic waste every year by 2030. Without solutions in place for recycling, most of these nets are either discarded in unmanaged landfills or incinerated—polluting the air, soil, and water.

Third, the analysis found serious risks to the supply chain from climate-related shocks, putting access at risk. This facet is almost never analyzed but is critical. For example, the supply chain of artemisinin-based combination therapy, a vital antimalarial drug used by hundreds of millions of people every year, is exposed to multiple climate-related risks. The plant Artemisina annua, which produces one of the main ingredients of the medication, is sensitive to climate conditions. Most manufacturing sites are concentrated in two regions of India that are exposed to flood risks, and the final product degrades when exposed to high heat.

From milligrams to megatons: A climate and nature assessment of 10 key health products

Ten lifesaving health products – from HIV medications to mosquito nets that protect families from malaria – emit 3.5 megatons of carbon each year and impact nature through manufacturing, transport and disposal.

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Shaping Solutions

Those findings may be surprising, but the solutions are not. The report outlines twenty technical solutions that could make these products more resilient to climate change while reducing emissions by up to 70 percent. Encouragingly, 40 percent of current CO2 emissions could be reduced without increasing the cost of production, so big changes could be made right away while maintaining affordability. It is encouraging that fully implementing “cost-neutral” solutions across these ten supply chains would get close to the Paris Agreement targets of reducing emissions by 43 percent by 2030.

40 percent of current CO2 emissions could be reduced without increasing the cost of production.

Many of these solutions are well proven. Others are more innovative but nevertheless highly promising. Take the example of green chemistry, which refers to a wide range of innovations that can make chemical processes more sustainable. By applying such principles to several essential drugs used for tuberculosis treatment, researchers have been able to reduce raw material use by 55 to 66 percent and increase yields by 18 to 43 percent.

This kind of approach not only reduces CO2 emissions but can also lower hazardous waste and generate cost efficiencies—a clear win-win-win solution.

 

Ensuring Health Products are Fit for Purpose in a Changing Climate

The Unitaid report explores two critical and poorly understood facets of climate change when it comes to health products and their supply chains: their impact on the environment and their resilience to climate risks. But this is only part of the story.

Climate change exerts a profound impact on diseases, populations and local communities. For instance, malaria is now spreading to new regions, to new settings, and through new vectors. Stakeholders and societies will need to change, sometimes fundamentally, the types of health products they use and the ways these items are delivered, if progress is to be made toward better health and equity.

Unitaid works to introduce innovative health products in low- and middle-income countries. This year, our organization has decided to take proactive steps and put climate at the center of our thinking as we identify and support the health innovations of tomorrow. Our new Climate and Health Strategy calls for a move to climate-smart health products that are not harmful to the environment, are resilient, are responsive to climate change, and are locally adapted and regionally produced. It also commits the organization to reduce its own footprint, including from its portfolio of investments, in line with the Paris Agreement.

The world cannot look at climate change and global health challenges in siloes. Nor can it look at climate mitigation and adaptation in isolation from one another. Those issues are interconnected, and so interventions should be. Manufacturers, donors, countries, communities, and health organizations like Unitaid need to develop, make, fund, buy, and advocate for climate-smart health products.

Failing to do so will not only perpetuate the negative environmental impacts of health supply chains. It will also put some of the most critical health interventions at risk of becoming irrelevant or ineffective.

As published in Think Global Health, an online publication from the Council on Foreign Relations.  

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