Photo : © KNCV Tuberculosis Foundation. Une infirmière montre à un patient tuberculeux comment utiliser des pochettes de médicaments pour suivre son traitement dans une clinique aux Philippines.
Trois technologies numériques d’observance (TNO) relient les patients à distance aux centres de santé : piluliers intelligents, traitement assisté par vidéo et étiquettes ou pochettes de médicaments. Ces technologies permettent aux patients de bénéficier d’une certaine souplesse dans leur traitement tout en garantissant que les cliniques puissent surveiller l’observance du protocole par les patients et fournir des soins plus adaptés si nécessaire.
« Pour développer des stratégies de santé publique qui fonctionnent, il est essentiel d’avoir des solutions pratiques, centrées sur le patient. Les technologies numériques d’observance sont conçues pour aider les patients à prendre leurs médicaments tout en procurant des informations qui aident les personnels de santé à dispenser des soins plus adaptés. Ces innovations, associées aux progrès thérapeutiques et préventifs, ont le pouvoir de moderniser et d’accélérer les efforts menés à l’échelle mondiale contre la tuberculose », a déclaré Janet Ginnard, directrice de la Stratégie chez Unitaid.
Ce projet pilote l’utilisation de ces trois technologies dans cinq pays – les Philippines, l’Ukraine, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et l’Éthiopie – dans le but d’améliorer les taux de réussite du traitement grâce à des solutions centrées sur la personne.
Nous avons questionné les principaux chercheurs du projet, Jens Levy de la KNCV TB Foundation (fondation néerlandaise contre la tuberculose) ainsi que Katherine Fielding et Amare Tadesse de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM), alors qu’ils débutent leurs recherches dans ces cinq pays.
Jens Levy : « Nous essayons actuellement d’évaluer si les établissements de santé qui utilisent ces TNO obtiennent de meilleurs résultats thérapeutiques que les établissements qui ne les utilisent pas ».
Katherine Fielding : « Nous utilisons souvent le mot pragmatique, car c’est un aspect très important de la recherche. L’intervention est assurée par les personnels soignants et non pas par une équipe de chercheurs. S’il s’avère que ce projet est un succès, nous aurons démontré la réussite des TNO dans le monde réel ».
Amare Tadesse : « Les pays déploient toutes sortes d’efforts pour aligner leurs protocoles et leurs lignes directrices en ce qui concerne la tuberculose. Le traitement sous observation directe (TSOD) est le plus courant actuellement. Cela signifie que les patients doivent prendre leurs médicaments tous les jours dans un établissement de soins ou qu’un soignant doit se rendre à leur domicile tous les jours. Ce niveau d’exigence a beaucoup amélioré les résultats des traitements antituberculeux, mais pas au point de nous aider à atteindre les objectifs stratégiques du programme national de lutte contre la tuberculose (une réduction de 95 % des décès dus à la tuberculose et de 90 % de l’incidence de la tuberculose à l’horizon 2035). Le TSOD est laborieux, tant pour les patients que pour le système de santé, et il est limité, en tant qu’outil de santé publique destiné à encourager l’observance du traitement de la tuberculose. C’est là que les TNO ont un rôle à jouer. Les TNO peuvent faciliter la réalisation des objectifs fixés à l’horizon 2035 ».
Jens Levy : « Dans chaque pays, l’étude est menée dans un grand nombre d’établissements de santé. Dans tous ces pays, les études concordent. Il est très utile – et presque essentiel – d’avoir des protocoles quasiment identiques pour voir comment les TNO fonctionnent dans les différents pays ».
Jens Levy : « Nous espérons démontrer qu’une technologie relativement simple permet d’améliorer la relation entre personnel de santé et patients afin que les patients puissent bénéficient d’un suivi adéquat pour qu’ils continuent à observer le protocole de traitement – d’une manière qui ne soit pas pesante, ni socialement, ni financièrement ».
Bien qu’il existe déjà des études sur les TNO, l’étude d’ASCENT est différente en plusieurs points importants. En quoi cette recherche adopte-t-elle une approche novatrice ?
Jens Levy : « L’aspect pragmatique de cette approche est vraiment crucial. Nous essayons d’améliorer la possibilité de généraliser le traitement en examinant plusieurs pays en parallèle. Plus précisément, nous évaluons et montrons ce que cet outil peut faire dans les mains des personnels de santé. L’autre point est que nous pouvons examiner le contexte de façon plus approfondie et plus facilement – notamment en examinant les circonstances particulières d’un pays par rapport aux autres ».
Katherine Fielding : « Lorsqu’on se trouve du côté des chercheurs, on a tendance à toujours s’éloigner du pragmatisme. Parce qu’on est obsédé par d’autres aspects. Nous sommes très heureux d’avoir réussi à conserver cette approche pragmatique ».
Amare Tadesse : « La manière dont le projet est administré est tout à fait critique et importante. J’aimerais également ajouter que les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose des différents pays sont impliqués dans la mise en œuvre de cet outil, et dans cette étude. Ceci non seulement pour renforcer la capacité à administrer ces technologies mais aussi pour pousser les pays à se les approprier ».
Dans quatre des cinq pays où l’étude ASCENT a lieu, les membres du programme national de lutte contre la tuberculose sont impliqués en tant que co-enquêteurs et en tant qu’enquêteurs dans le pays.
Katherine Fielding : « Le point important, dans la façon dont nous gérons notre étude, c’est que les personnels de santé ont la possibilité de regarder les données en temps réel, immédiatement ».
Jens Levy : « Ce point donne à ASCENT une certaine solidité qui rend plus productive la relation entre le patient et le personnel de santé. C’est un peu difficile à décrire, mais je pense que cette relation est vraiment essentielle à ce que nous évaluons ».
Katherine Fielding : « La Covid-19. Dans toutes les régions, les patients se rendent moins fréquemment dans les cliniques. Ils y vont moins souvent à cause de la Covid-19. Mais aussi, en termes d’obstacles, le simple fait d’essayer de mettre en place le projet dans le contexte de la pandémie est vraiment délicat ! Une grande partie des formations doit se faire en ligne, et pour les formations qui se font en face à face, il y a des mesures à mettre en place pour assurer la sécurité de tous. Il est difficile de se rendre dans les cliniques, et certaines cliniques ont dû fermer temporairement parce que des membres du personnel ont été infectés par le virus de la Covid-19 ».
Jens Levy : « Parallèlement, certains pays sont si pressés de mettre en œuvre ces TNO qu’ils sont prêts à faire l’impasse sur cette étude pourtant essentielle. Nous sommes donc pressés d’aboutir. Et puis bien entendu, pour ce qui est des défis, nous devons tenir compte de l’aspect éthique. Nous devons être particulièrement attentifs à la mesure dans laquelle ce type de technologie pourrait révéler à d’autres qu’un patient est tuberculeux. Si les gens font le lien entre pilulier intelligent et tuberculose, par exemple, la vie privée du patient sera compromise. Nous avons au moins sept comités d’éthique pour négocier des questions comme celles-ci. Donc faire en sorte que les réunions se déroulent en temps voulu et que leurs objectifs s’alignent est vraiment un défi ».
Amare Tadesse : « L’une des technologies que nous espérons utiliser nécessite que les patients aient accès à un téléphone portable. Dans les deux branches de l’étude, nous espérons que les patients en auront un, car nous voulons leur envoyer des messages de motivation. Il faut également qu’ils aient une bonne connexion pour qu’ils puissent envoyer les données en temps réel via la plateforme. C’est une question à approfondir dans le cadre de la recherche. »
Le projet ASCENT est soutenu par différents conseils consultatifs qui l’aident à relever ces défis.
Katherine Fielding : « S’il est finalement démontré que cette intervention est une réussite, cela pourrait être très bénéfique pour les programmes de lutte contre la tuberculose dans le monde. En outre, l’évaluation économique de l’intervention montrera également si le projet est rentable. Ces deux points révéleraient aux pays en question que la thérapie n’a plus besoin d’être observée directement. D’après notre expérience, la majorité des patients observent très bien le protocole de traitement et n’ont pas besoin d’aide supplémentaire. Mais cette intervention peut aider à identifier les patients qui ont besoin d’une aide supplémentaire pour une raison ou une autre. Ces conclusions pourraient changer les politiques de traitement de la tuberculose dans le monde entier ».
Amare Tadesse : « En ce qui concerne les prestataires de soins de santé, ils auraient accès à des données plus fiables et plus récentes sur leurs patients, ce qui les aiderait à mieux traiter leurs patients au cas par cas ».
Jens Levy : « Nous nous attendons à ce que les leçons que nous tirons de ce projet – les choses qui fonctionnent, et pour qui – s’avèrent être des leçons importantes que nous pourrons transmettre à d’autres pays, afin qu’ils puissent plus efficacement généraliser ou adopter ce type de technologies et ainsi éviter les pièges habituels ».
Le projet ASCENT, financé et soutenu par Unitaid est mené par la KNCV Tuberculosis Foundation en partenariat avec l’Institut Aurum, la London School of Hygiene & Tropical Medicine, et l’organisme PATH. Il est mis en œuvre en Éthiopie, en Tanzanie, en Ukraine, aux Philippines et en Afrique du Sud, en partenariat avec les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose. Ce projet vise à contribuer à la mise au point de solutions de traitement plus souples et à soutenir les personnes traitées contre la tuberculose dans le monde entier.
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