J’ai grandi au Brésil, essentiellement à Rio de Janeiro. Quand j’étais petit, ma famille a beaucoup déménagé dans l’ensemble du pays. J’ai dû déménager 29 fois au cours de ma vie ! J’ai obtenu mon diplôme de médecin à Rio. J’ai exercé pendant 29 ans, et je me suis spécialisé en santé publique et en épidémiologie.
J’ai soigné des patients pendant deux ans seulement dans la région amazonienne. Après mon second cycle d’études de médecine à Rio, je me suis tourné vers l’épidémiologie et la santé publique. J’aime relever des défis et réfléchir à la meilleure gestion des programmes de santé. C’est une préférence personnelle par rapport au fait de soigner des malades. La médecine est un très beau métier, car vous pouvez vous sentir utile à un individu, à une communauté, à une ville ou à un pays. J’apprécie particulièrement de m’engager avec des programmes qui peuvent faire la différence pour un grand nombre de personnes en même temps.
J’ai commencé à travailler sur le VIH/sida en tant que responsable de programme à Rio, et j’ai dirigé l’unité épidémiologique du programme national de lutte contre le sida au Brésil. Puis, en 2007, je suis devenu directeur de l’unité tuberculose. Donc, le lien était la co-infection.
L’épidémie de VIH au Brésil est concentrée chez plusieurs populations spécifiques : le virus est présent chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, chez les travailleurs du sexe et chez les consommateurs de drogues injectables. Cette concentration facilite le ciblage du programme, mais le VIH s’accompagne toujours d’une stigmatisation. Le sexe et la drogue ne sont pas toujours des sujets faciles à aborder pour les gens. Pour la tuberculose, la stigmatisation est différente. Elle tient davantage au caractère contagieux de la maladie : les gens évitent le contact avec les malades tuberculeux, car ils ont peur de l’infection.
La fragmentation administrative était très forte au Brésil. Les gens ne se parlaient pas. C’était un vrai problème. Je pense que l’un de mes principaux atouts pour le programme de lutte contre la tuberculose au Brésil était ma capacité à travailler avec tout le monde. J’ai créé un comité de pilotage composé de gens de tous horizons : universitaires, société civile, malades, infirmiers et médecins.
Le principal problème de la lutte contre la tuberculose au Brésil tient probablement au manque d’information, non seulement au sein de la population, mais aussi au niveau des professionnels de santé. Environ 50 % de la population ne sait pas que la tuberculose existe encore et pense qu’elle appartient au passé. Chez les professionnels de santé, 50 % ne connaissent ni les symptômes ni les modalités de traitement de la maladie. À cela vient s’ajouter la stigmatisation : les médecins disent souvent à leurs patients qu’ils ont une autre maladie, comme une pneumonie, pour éviter qu’ils ne soient stigmatisés.
L’une des principales difficultés tient au fait qu’il s’agit d’une maladie transmissible qui se propage dans l’air : rien qu’en respirant, vous pouvez attraper la bactérie et développer la maladie.
L’autre grand problème est qu’il s’agit d’une maladie liée à la pauvreté. C’est pourquoi elle n’intéresse ni le secteur pharmaceutique, ni la société dans son ensemble, ni le système de santé. La tuberculose a beaucoup évolué dans les années 90 après l’apparition du sida. Elle est alors devenue une maladie opportuniste. Le sida a, en ce sens, contribué à la lutte contre la tuberculose, car même si le nombre de cas s’est accru, ce n’était plus une maladie négligée.
La tuberculose est également un problème pour les populations les plus vulnérables. Le Brésil affiche les chiffres les plus élevés au monde concernant la tuberculose en milieu carcéral, où les gens sont entassés comme des animaux dans des conditions épouvantables. Les sans-abri, les populations indigènes et les personnes vivant avec le VIH font aussi partie des catégories vulnérables.
Le rôle d’UNITAID est de faciliter l’accès au diagnostic et au traitement pour les personnes atteintes de tuberculose ou d’autres maladies.
Le test tuberculinique est resté le même du XIXe siècle à 2012. Aujourd’hui, nous disposons de nouveaux outils de diagnostic, et nous venons de mettre au point les premiers nouveaux médicaments contre la tuberculose depuis la Deuxième Guerre mondiale. Mais cela ne suffit pas. Même avec les meilleurs traitements et les meilleurs outils de diagnostic, on n’éradiquera pas la tuberculose sans une promotion efficace de l’accès pour ceux qui en ont besoin.
Il est important de préciser que nous ne parlons pas d’éradication complète. Aucun pays ne peut éradiquer la tuberculose, même les plus riches. Notre objectif est de faire en sorte que cette maladie ne soit plus un problème de santé publique, c’est-à-dire qu’il y ait moins de 10 cas pour 100 000 habitants. Trente pays y sont déjà parvenus. Mon pays compte 33 cas pour 100 000, il est donc sur la bonne voie. Je suis certain que beaucoup de pays atteindront cet objectif avant 2035.
Cependant, si nous voulons atteindre cet objectif dans le monde entier, nous avons besoin de nouveaux outils. Nous avons besoin d’un vaccin, de traitements plus courts et d’outils de diagnostic faciles à utiliser.
L’éradication de la tuberculose ne dépend pas uniquement des outils de diagnostic et des traitements, il s’agit surtout de faire reculer la pauvreté.
Lors de l’Assemblée mondiale de la Santé en 2014, nous avons défini trois grandes priorités : les diagnostics et les traitements mais aussi la protection sociale et la recherche. Nous devons progresser sur ces trois axes, et je suis convaincu que nous y arriverons.
Le coût du traitement ne devrait pas être à la charge des malades : ceux-ci sont déjà pénalisés par les conditions sociales qui les ont exposés à la tuberculose. Il est donc injuste de leur faire payer les médicaments ou les outils de diagnostic. Ce principe est clairement énoncé dans la nouvelle stratégie de lutte contre la tuberculose. C’est d’un ensemble d’actions dont nous avons besoin en même temps.
J’ai bon espoir que nous parviendrons à éradiquer la tuberculose. Ma carrière a été riche en expériences. J’ai eu l’occasion de diriger des programmes au niveau des municipalités, des états et à l’échelon central au Brésil et, aujourd’hui, à UNITAID, je suis amené à mener une réflexion au niveau mondial.